Besoin de silence, de recueillement et de réflexion. Keishi avait besoin de fuir un moment, de s’allonger à même un sol terreux afin de communier avec la nature, ou alors se faire pardonner d’elle. Il souhaitait à ce que le sable mouvant l’entraîne dans les fins fonds du monde et l’étouffe d’un coup, et ce, pour toujours. Parce qu’en ce moment, il étouffait trop lentement à son goût. Son travail l’épuisait et ses relations sociales l’affaiblissaient de jour en jour. Il lui fallait donc prendre la fuite, un peu loin, on ne sait où… Dans un temple. Mais à quoi bon vraiment ? Encore sur le chemin, Keishi doutait.

La voiture traçait sa route, son voiturier, Shinrei – qui en passant était aussi son ami – ne soufflait mot, obéissant à l’ordre de total silence qu’avait prononcé l’héritier. Le jeune homme ne savait combien de temps ils avaient mis pour arriver là, plus d’une heure sans doute, mais ils étaient enfin dans un temple, vide d’ailleurs. Pas un moine, pas un chat et pourtant, il semblait habité. Sans doute de sortie, ou alors… Avait-il réellement envie de réfléchir à cela ? Déchaussé, le voilà qui déambulait sur le parquet ciré de la bâtisse mais rien ne l’inspirait. Alors, toujours en chaussettes, il sortit, veillant bien à ce que son ami le suive toujours de près. Il s’insinua alors dans le sous-bois qui entourait la demeure divine. Il y marcha longuement, toujours dans le silence et pourtant il ne ressentait aucun apaisement, toujours de l’agacement. Ils arrivèrent enfin près d’une belle rivière, dont le flot était doux et calme. Un long soupire se fit entendre et Keishi jeta ses chaussettes salies au sol. Il se tourna vers son ami et le dévisagea avec insistance, le reluquait dans ses moindres recoins. Peut-être que lui saurait le satisfaire ? Une idée lui trottait en tête, une idée qui lui donnait subitement chaud, une idée qu’il ne tarderait pas à mettre en œuvre. « Shinrei ? » dit-il d’un ton étrangement suave tout en s’asseyant sur un rochant assez haut. « Suce-moi ? » Visage un peu déridé, léger sourire en coin, ton ferme mais aguicheur. Ca n’était pas une demande, mais bel et bien un ordre. Keishi faisait confiance à Shinrei, il saurait le satisfaire.

En arrivant à la résidence des Sato ce matin, j'étais loin de me douter que Keishi, mon ami et client, allait me demander une telle destination. Quelle mouche lui avait piqué pour qu'il puisse vouloir se rendre dans un temple coupé du monde ? Encore, si cela avait été un de ces nombreux lieux de prière qu'on pouvait trouver en ville, je comprendrais, mais le temple le plus isolé de Tokyo ? Quelque chose ne tournait pas rond dans la tête de mon ami, et j'étais plutôt content de savoir que je l'accompagnais dans ce voyage. Je pourrais peut-être l'aider. Le détendre. Il semblait tellement tendu. En le voyant arriver à l'entrée, je l'avais dévisagé, très étonné de le trouver si tendu, la mine grisâtre. Quelque chose devait mal se passer dans ses projets. Mais j'étais son voiturier. Et comme le voulait mon travail, je lui avais ouvert la portière de la voiture de fonction pour qu'il s'installe, et j'étais revenu au volant pour conduire Keishi au fameux temple éloigné.

Ce ne fut pas difficile de trouver une place. Après avoir coupé le moteur de la voiture, je sortis avec Keishi et je le suivis de près, sans pour autant le dépasser, à l'intérieur de l'immense bâtisse qui semblait inhabitée. Il faisait un peu chaud malgré le vide extrême des lieux. Je desserrai un peu ma cravate, tirant avec deux doigts, puis je tournai avec Keishi pour l'accompagner dans un sous-bois. J'avais l'impression qu'il errait, à la recherche de je ne savais quoi. Mais j'étais là, pas vrai ? J'étais là, en tant qu'ami, et je l'épaulerais. Un peu plus tard, je fis face au jeune homme en regardant autour de nous. La pureté de ce petit bois était agréable. Je me sentais léger, comme revigoré de toute la pression sociale exercée à Tokyo. Souriant simplement, je tournai néanmoins ma tête vers Keishi après avoir entendu sa requête, surpris. Ici ? Maintenant ? Je clignai des yeux, un peu abasourdi, et je regardai autour de moi même si je savais qu'il n'y aurait personne pour nous déranger. Bon... Keishi semblait vraiment dans le besoin présentement et comme nous n'étions pas n'importe quels amis, je m'approchai en retirant ma cravate, déboutonnant ma chemise blanche au niveau des clavicules. Je posai ma main sur son épaule, la massant avec bienveillance. « Tu as le mérite d'être franc, dis donc... » J'esquissai un nouveau sourire et accédai à sa requête avec une simplicité quasi-enfantine. Agenouillé, je m'affairai à retirer sa ceinture, concentré. Mes doigts glissant contre le cuir travaillé de sa boucle. « Pourquoi une telle demande, par curiosité ? » fis-je en levant la tête ensuite, toujours en train de lui déshabiller le bas avec le plus de naturel possible. Comme si, entre nous, c'était normal.

Peut-être bien qu’en se libérant du poids du désir, l’héritier se sentirait mieux ? Il en doutait. Bien que cela lui fasse extrêmement de bien sur le coup, jamais ça n’allégerait son problème de conscience. Un soupir, il allait se voiler la face, se dire qu’encore, tout irait bien. Les souffles chauds de Shinrei, voilà ce à quoi il pensait désormais, ce qu’il voulait entendre maintenant, rapidement, contre son oreille attentive. Son regard se perdit sur le velouté de la peau dénudée de son ami et il apprécia fortement ce petit massage gratuit et plein de bonnes attentions. « Tu me connais… » Il a et sera toujours ainsi. Un frisson parcourut son échine alors que Shinrei s’affairait à commencer sa tâche en titillant sa ceinture. Pourquoi Keishi lui demandait cela ? Pourquoi oui ? L’envie, très certainement, l’envie de ce jeune homme aux lèvres pleines, au rire transportant, au regard aussi lourd que le sien, soumis à ses moindres désirs… « Parce que t’es doué. » Et que tu me fais oublier tout le reste, mais ça, jamais il ne l’avouerait, ce n’était pas son genre. Sa main se posa dans la crinière rose de son amant, la caressant avec douceur, comme pour l’encourager et le féliciter d’être aussi obéissant. « Bon appétit. » Il donnait bien le signe du départ, sa patience était généralement très limitée quand il avait envie de se défouler en compagnie de Shinrei, c’était même plutôt étrange, qu’il ait autant de mal à se contrôler…