Quelle importance de savoir où, à quelle date et comment cette gangrène a vu le jour. Il n’est pas non plus capital de préciser qui étaient ses parents mais plutôt pourquoi ont-ils si peu considéré leur fils quand il a sorti sa tête difforme des draps qui l’enveloppaient. Ses yeux étaient monstrueusement grand, son crâne imberbe et ses bras aussi maigre qu’un os de lapin. Kanto a eu le charme d’une crevette jusqu’à ce que la puberté ait un effet sur lui qu’il ne s’imaginait plus. Quand il était jeune gamin, le japonais était d’un silence de mort, trompeur et déroutant, jugeant par les yeux, réfléchissant par l’esprit et se taisant par la voix pour ne pas risquer d’être découvert. Les amis de ses parents ne s’intéressaient guère à lui, trop préoccupé par ses yeux grand ouverts qui les fixaient et les mettaient mal à l’aise : comme s’il avait perçu leurs secrets. On disait bonjour à kanto, puis on l’envoyait dans sa chambre jouer. Sauf que le marmot ne jouait pas : il se tenait en haut de l’escalier et observait : d’abord ce furent les gestes et les paroles qu’il tenta de comprendre, et, quelques années plus tard ce furent les acclamations pour sa nouvelle sœur, son rival, son ennemie publique numéro 1. Elle avait les cheveux longs, ébènes, noués dans une tresse méticuleusement parfaite, ses joues étaient rosées, ses yeux accueillants, et sa voix fluette, drôle et mélodieuse. Sana était la princesse et kanto le crapaud et il était parfaitement bien ainsi aux premiers abords. Les deux enfants n’ont jamais rien partagé : elle était trop éclairée et trop pétillante, et lui bien trop belliqueux et cupide pour pouvoir mettre en commun ne serait-ce que les discussions ou les jouets. Quand kanto eut 17 ans et sana 15, ils s’ignoraient dans la cour de l’école, se jugeaient du regard, et ne s’étaient réunis qu’au décès de la meilleure amie de celle-ci. Elle s’était pendue un soir après avoir souhaité la bonne nuit à sana par message aux alentours de 21h30 ou 45 : s’était rendue dans son garage et s’était emparée d’une corde et d’un tabouret. On avait retrouvé des traces de griffures dans son cou : preuve qu’elle avait peut-être amèrement regretté son geste. Kanto se souvient qu’il avait été triste pour sa sœur, et que le lendemain, il s’était rendu comme une furie silencieuse dans sa classe et il lui avait pris la main.

Le japonais prend des nouvelles de sa sœur de temps en temps, dans un an elle allait rentrer à l’université comme lui mais ils allaient certainement ne jamais devenir aussi proches l’un de l’autre qu’ils ne l’avaient été le jour de la mort de Neruha. Kanto gardait de la rancœur au fond de lui : que sana n’ait jamais essayé de le faire exister aux yeux de leurs parents, qu’elle n’ait jamais jeté plus d’un regard attendri ou même considérant sur lui. Il était le mouton noir de la famille mori, celui qui avait toujours ses examens raz la pâquerette et qui n’avait pas honte de dire qu’il avait choisi des études faciles pour ne pas avoir à trop travailler. Il se promenait dans l’université, se rendait aux cours et repartait soigner ses poings pour les combats à venir.

Kanto n’a pas connu la bagarre avant de poser les yeux sur rei. Il ne se souvient même plus de ce qu’il a pu trouver à ce garçon pour le suivre aussi bas que terre. Pourtant, c’est pour lui qu’il se bat, c’est lui qu’il veut rendre fier, et c’est à son compte qu’il s’enfonce dans les méandres des joutes urbaines. Kanto n’a pas vraiment de force mais connait le corps humain, et, de ses muscles saillants et pourtant discrets, de sa rapidité jamais contestée et battue, il est rapidement devenu un petit champion et a commencé à grandir sa fortune personnelle en blessant d’autres jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus se relever sur le genou. La seule motivation aujourd’hui qu’il a de se battre est celle du regard fier et chaud que pose son mentor sur lui quand l’arbitre lève son poignet léger pour annoncer le nouveau champion de la soirée et du reste de la soirée où kanto n’espérait qu’une chose : goûter à nouveau à la chaleur de l’homme. Le japonais n’a perdu que ses premiers combats, mais rei n’a jamais douté de son potentiel, et c’est en ce sens qu’il lui est aussi reconnaissant que s’il le vénérait presque.

Pourtant kanto est fatigué de se battre doublement : pour apprécier la vie, et pour rendre fier ce garçon pour qui il a l’impression d’être quelqu’un.